jeudi 12 août 2010

Eau qui brûle


 
 
     Bien maintenant reprenons. Reprenons depuis le début. J'arrive à Salvador, de nuit, un dix-sept juillet. Mes premières rencontres sont espagnoles. L'usage de la langue castillane me rassure car elle me rappelle quelqu'un qui m'aime. Paradoxalement cette situation préfigure aussi le grand mélange des langues que je vais devoir porter et supporter sans cesse.

Ici la nuit tombe vite, je n'aurais donc pas l'occasion de voir la ville aux 367 églises de jour pour cette fois. Je crois que c'est le Lonely Planète, guide indispensable et bien plus complet que le Routard, qui me l'indique : on surnomme parfois Salvador ainsi, la ville aux 367 églises. Il y en aurait une pour chaque jour de l'année, une pour les années bisextiles et une autre au cas où on se serait trompé dans le calendrier. Par la suite j'aurai tout le temps de vérifier l'exactitude de cette affirmation. La ville compte bien en général une église dans chaque rue. Avec parfois un Christ serti de milliers de rubis pour faire briller les gouttes de sang de ce cadavre morbidement embelli.
Et encore je ne compte pas les églises évangélistes qui foisonnent. Ni les centres de franc-maçonnerie, ni les centres spirites, ni l'Eglise positiviste de Rio, ni les multiples rites de candomblé, ni la présence juive, ni les quelques musulmans que l'on peut croiser... Je m'intéressai à l'Inde pour son foisonnement religieux, j'étais loin de me douter que le Brésil  connaissait une telle débauche de spiritualités. Ma curiosité aura de quoi s'épancher.

Première expérience : le bus, ou plutôt ônibus. Véritable épreuve de passage, on ne peut comprendre la ville brésilienne sans cela ! Aracaju représente la version la plus aboutie de cette épreuve pour le petit occidental douillet que je suis : pas ou peu d'indications d'arrêts, on se contentera de se placer sous un vieux panneau défraîchi censé représenter un bus. On agite les bras, on baragouine, on s'accroche. 2 réais et dix centavos la place, évidemment je n'ai pas dix centimes, pas de monnaie, personne n'a de monnaie d'ailleurs ici. Evidemment qu'on ne compte pas sur l'existence d'un plan. Quant aux directions indiquées sur l'engin, elles peuvent parfois être erronées !

Ici c'est comme pour le reste, on demande !

***Voilà des premières pensées qui me viennent. En Europe, l'environnement urbain semble adapté pour limiter le nombre de contacts. En effet la plupart du temps ceux-ci ont une vocation d'abord informationnelle : où va ce tram ? A quelle station je descends ? Combien ça coûte ?
Aujourd'hui plus besoin de poser ces questions. Nous avons acquis de fait une indépendance maximum...***

Si j'élargis le champ d'expériences à partir de ce petit exemple typique du bus, je peux dire que lorsque je suis arrivé à Aracaju, je me suis retrouvé en situation de dépendance extrême. C'est paradoxalement das ce genre de position que vous devez trouver le maximum de ressources en vous : coûte que coûte vous devez parler, même si vous vous trompez, même si vous vous ridiculisez. Coûte que coûte il faut aller vers l'autre, où hormis votre sourire (et parfois quelques réais j'avoue) vous ne lui offrez rien mais au contraire lui demandez tout.
    En Europe je suis eau calme, je conserve mes mots comme des pièces d'or. Trésor des fonds des mers à distribuer parcimonieusement.
Ici je deviens torrent. On s'engouffre dans toutes les brêches, on veut tout envelopper, et si l'on se repose la pluie vient vous rappeler que vous n'êtes pas un pur esprit.
 
 
 
Ici bientôt une photo de koala. T'es con ou quoi y'a pas de koalas au Brésil.
 
 
 
Un corps. Je suis un corps.
Arrivée au Brésil. Premier sens appelé, toujours le même : on inspire, nouveau-né sur cette nouvelle terre.
Air humide, et ce je-ne-sais-quoi, cette menthe légère, ce sable laiteux, cette ombre tranquille. Au moins je pourrai narguer Jérémie qui évoquait l'air irrespirable des grandes villes indiennes !
Et la lumière. Violente la lumière. Impossible de regarder en face, impossible de prendre une photo, il faudra ruser.

A Aracaju je loge chez Vivianne, une brésilienne rencontrée sur Lyon, la main sur le coeur. C'est avec elle, sa mère et sa grand-mère que je goûte le Brésil : açai, caju, oranges vertes, patates douces et... l'inévitable sandwich au jambon du petit déjeuner. J'ai l'impression de redevenir enfant. Le voyage a aussi des vertus psychanalytiques.

Autre détail d'IMPORTANCE MAJEURE... Que ce soit à Aracaju, à Salvador ou à Rio ici les gens aiment les bonnes choses (et se demandent au passage pourquoi les français sont si fins...). Et ils aiment y compris, j'ai nommé, les GATEAUX. Une femme rencontrée à Salvador me signalait qu'à son avis les Portugais avaient amené trois choses au Brésil : la langue, l'architecture, et... les gâteaux. Ici c'est le royaume de la surenchère et du kitsch. Pour trois fois rien on achètera un gros gâteau nappé de crème rose, d'énormes fraises et d'inscriptions chocolatés. Les évangélistes sont pas mal aussi question mauvais goût. J'arrête là je deviens méchant.
 
 
 
Là une photo d'évangéliste méchant. Ou da menina pastora...
 
 
 
Il manque le bruit. Je ne vous ai pas parlé des sons titillant mes oreilles. Le volume sonore moyen est en général beaucoup plus élevé qu'en France. Une fois, sur l'île d'Itaparica, Javier et moi prenions le bus pour nous rendre en bord de plage, à une poussada perdue au milieu de riches habitations encadrées de barbelés. C'est au milieu du trajet qu'est monté alors un groupe de femmes, noires pour la plupart, qui se sont mises à chanter tout du long. Quand il leur fallait parler, leurs voix semblaient démultipliées par dix. Je n'ai jamais entendu quelqu'un parler plus fort que cette jeune femme noire, les cheveux frisés et à moitié décolorés, une petite fille en robe rose tenant dans ses bras.
Dans ce bus à la lumière synthétique toute noyée de nuit tropicale, la voix étrangement angoissante de cette bouche sur pattes semblait émaner de l'air lui-même.


Bon bah le joyeux bazar ambiant semble m'avoir contaminé. Je parle de bus et de bouffe. Désolé de ne pas mener vos esprits avides de nourritures célestes dans des sphères plus élevées. Finalement voyager c'est quand même vachement concret.
 

 
Photos : Premières images d'Aracaju
Lien vidéo "A menina pastora" : il s'agit d'une petite fille brésilienne qui fait un sermon dans une assemblée évangéliste. Si tu veux avoir la trouille tu peux cliquer.

lundi 9 août 2010

Miroir aux alouettes

 
 
Près d'un phare, à Salvador, au large de l'Atlantique. Capoeira, tambour, image d'Epinal... pour plaire aux photographes !
Méfions-nous des belles images, servies pour plaire aux touristes. Sachons crever l'écran de nos petites illusions, acceptons les contradictions. Le monde n'en manque pas !

jeudi 5 août 2010

Les singes d'Aratuba

 



Les petits silences de cet espace virtuel ne sont pas dûs à une attaque de moustiques géants, et je ne me suis pas encore perdu dans la forêt tropicale. Loin de m'absenter, je ne me suis sans doute jamais senti aussi attentif et présent au monde qui m'entoure...


Après avoir passé une semaine à Salvador de Bahia, dite la Rome noire, puis quelques jours sur une charmante île au doux nom amérindien d´Itaparica, me voilà parti pour Rio. Malgré quelques nuages (car oui c'est l'hiver ici, même s'il est loin de neiger !), la ville me nourrit déjà de ses odeurs, de sa lumière. 

 
 

Le Brésil ne cesse pas de me surprendre. Il s'agit bien d'un pays continent, le contraste entre Rio et le Nordeste est saisissant. 
Continuellement je fais des milliers d'observations autour de moi : visages, voix, organisation de l'espace, conception du temps, douceur de la langue, saveur de la cajú, et cette lumière blanche, si blanche. 


 


Je suis pour l'instant en phase d'immersion. Habituellement plutôt spectateur et analyste, je rentre ici de plein pied dans l'action pour y être totalement présent. Cela fera bientôt deux semaines. J'ai accumulé les sons, les images, les pensées. Et certaines commencent à couler de moi.
 
En somme c'est une respiration. 
 
Un temps pour Nanã, un temps pour la samba
Un temps pour le silence, un temps pour écrire
 
 
 
Photos : Vues successives de Salvador de Bahia et de l'île d'Itaparica